Par Annie-Ève Collin
Cette critique d'Annie-Ève Collin a été initialement publiée dans Les Sceptiques de Québec (Revue 2023-112-26).
Une exposition qui devrait faire sourciller n’importe quel sceptique
L’exposition Unique en son genre, au Musée de la Civilisation, devrait retenir l’attention de n’importe quel sceptique : on prétend y apporter de l’information aux visiteurs alors que l’exposition est idéologiquement orientée. Pire encore, on véhicule des affirmations qui sont objectivement fausses : détournement du sens de plusieurs mots, interprétation tordue de la vie de certains personnages historiques — qui sont présentés comme « trans » (1) alors qu’il n’y a aucune raison valable de les considérer comme tels — et utilisation fallacieuse de certains faits biologiques. C’est d’autant plus un problème que cette exposition a lieu dans un musée national, c’est-à-dire une institution censée avoir une vocation éducative.
Page de titre du guide de l'exposition. Préparé par la sexologue québécoise Myriam Daguzan Bernier, qui, selon sa biographie, « a récemment suivi des formations sur le polyamour et le BDSM », et le GRIS Montréal, un organisme communautaire œuvrant en milieu scolaire « de favoriser une meilleure connaissance de la diversité sexuelle et de genre et de faciliter l’intégration des personnes LGBT+ dans la société.» https://mcq.org/wp-content/uploads/2023/06/guide-unique-genre-francais.pdf
L’équipe qui a conçu l’exposition : des militants et non des experts
Phillie Drouin, personne (2) aussi connue sous le nom de Marie-Philippe Drouin, directrice de Divergenres — « un organisme communautaire féministe intersectionnel, par et pour les personnes trans binaires et non-binaires » — s’est occupée de la rédaction. Drouin travaille activement à convaincre tout le monde d’endosser l’idéologie queer et à imposer dans l’usage commun un nouveau vocabulaire influencé par cette idéologie (3).
D’emblée, on pourrait demander quelle expertise on doit reconnaître à Drouin, lui permettant de concevoir une exposition censée apporter des faits historiques, des données scientifiques, de l’information objective, quoi ! On a des bonnes raisons de soupçonner que c’est à titre de militante, et non à titre d’experte en quoi que ce soit, que Drouin a participé à la conception de l’exposition Unique en son genre : en s’informant à son sujet, on constate que ses activités, y compris celles qui sont présentées comme des recherches, sont orientées sur le plan sociopolitique (4).
Ajoutons que le comité scientifique se compose de :
Annie Pullen-Sansfaçon, membre de WPATH et co-fondatrice de Jeunes identités créatives ;
Gabriel James Galantino, une femme identifiée comme transgenre et directeur général du Conseil québécois LGBT ;
Elizabeth Diane Labelle, présentée dans l’exposition comme conseillère en éducation sur les Premières nations ;
Javier Fuentes Bernal, un travailleur social qui s’intéresse particulièrement aux questions liées au « genre » ;
Karine Geoffrion, professeure en anthropologie, dont les travaux révèlent les mêmes orientations sociopolitiques que pour les autres membres du comité ;
Mona Greenbaum, directrice de la Coalition des familles LGBT+ ;
Héloïse Maertens, doctorante en études autochtones.
Alors que l’exposition prétend apporter des faits biologiques et des faits historiques, on constate que le « comité scientifique » ne comprend aucun biologiste ni aucun historien. Karine Geoffrion est la seule à qui on pourrait au moins reconnaître le titre de scientifique. Dans tous les cas, il s’agit de militants, et on ne fait aucune place à la diversité d’orientations sociopolitiques.
Le comité consultatif se compose, lui aussi, de personnes qui partagent toutes le militantisme et des orientations sociopolitiques communes.
Militer et défendre des orientations sociopolitiques est légitime, cependant il n’est pas légitime de présenter un discours comme informatif, et même scientifique, alors qu’en réalité ce discours relève du militantisme et de la promotion d’une idéologie.
L’introduction par Phillie Drouin
La première chose que l’on peut voir en entrant dans la salle de l’exposition est une vidéo dans laquelle Phillie Drouin développe sur ce qu’elle appelle « les cinq dimensions du genre » : le sexe qu’on nous assigne à la naissance, le genre qu’on nous assigne à la naissance, l’identité de genre, l’expression de genre, l’attirance sexuelle et romantique. Cette vidéo est présentée comme explicative alors qu’elle ne l’est pas, le discours qu’on y entend est idéologique et non simplement théorique.
On y retrouve plusieurs problèmes de taille : discours incohérent, concepts centraux laissés sans définition, détournement de sens de mots communément utilisés, ainsi que des affirmations hautement discutables.
Ici nous allons insister un peu : Phillie Drouin ne milite pas pour les droits humains, ni même pour les droits des homosexuels, bisexuels et trans. Cette personne milite pour une idéologie particulière : l’idéologie queer. On peut être pour les droits de tous les humains, et même accorder une importance particulière aux droits des homosexuels, bisexuels et trans sans endosser l’idéologie queer. On peut être pour les droits de tous les humains et refuser d’endosser l’introduction de l’exposition, sur laquelle nous développerons dans les prochaines sections.
Le sexe assigné à la naissance
Le sexe assigné à la naissance serait un acte légal fait par le corps médical en regardant les organes génitaux de l’enfant : on cocherait la case M sur l’acte de naissance si l’enfant a un pénis et la case F s’il a une vulve.
Tout cela semble à peu près conforme à la réalité, si on laisse de côté que le sexe des bébés est souvent identifié bien avant la naissance, mais il y a un problème beaucoup plus important à relever : il ne s’agit pas d’une assignation, mais d’un constat. Présenter le sexe comme assigné dans un discours censé être informatif est un problème.
Drouin enchaîne en parlant des formes d’intersexuation : certains enfants naissent avec des organes génitaux ambigus et selon elle, cela fait que le système légal dont elle parle n’est « pas sans faille ». Or on voit mal comment le fait qu’il existe des anomalies représente la preuve de failles dans un « système » qui est en réalité simplement l’habitude de constater l’état de ceux qui ne se caractérisent pas par une anomalie. La majorité des enfants sont, sans ambiguïté, de sexe masculin ou de sexe féminin, et pour une minorité d’entre eux, de façon tout à fait objective, on peut prendre connaissance d’une anomalie telle qu’on n’est pas certain de leur sexe (5). Dans tous les cas, on constate l’état des bébés.
Tout de suite après avoir dit que le système n’est « pas sans faille », Drouin ajoute : « Le corps des êtres humains, c’est quelque chose de beaucoup plus complexe que seulement deux modèles. »
Amalgamer plus ou moins subtilement une affirmation fausse à une affirmation vraie, mais très différente de la première, relève du sophisme. Drouin est passée de l’affirmation que le sexe est assigné selon un système légal qui comporte des failles, à celle qu’il n’y a pas seulement deux modèles de corps humain, deux affirmations complètement différentes l’une de l’autre, dont la première est fausse alors que la seconde est vraie.
Bien sûr qu’il n’y a pas seulement deux modèles de corps humains, et ce n’est une nouveauté pour personne : même en laissant de côté les cas d’intersexuation, tout le monde sait que les corps des humains, même à l’intérieur d’un même sexe ne sont pas tous identiques. Ceci dit, il demeure qu’il y a deux sexes et qu’on n’assigne pas leur sexe aux humains, on le constate seulement.
Distinguer les humains selon deux catégories sexuées est présenté dans l’exposition — dans l’ensemble de celle-ci, pas seulement dans l’introduction — comme une construction sociale qui imposerait des catégories discrètes artificielles à une réalité plus complexe que lesdites catégories.
Comme le disait le biologiste Richard Dawkins dans un texte paru récemment dans le New Statesman (6), s’il est vrai que nos catégories discrètes sont souvent artificielles, c’est-à-dire qu’on distingue souvent deux catégories discrètes pour y classifier des objets qui, dans la réalité, se situent plutôt sur un continuum, par contre, en ce qui concerne le sexe, il y a bel et bien deux catégories discrètes. Dawkins aborde les cas d’intersexuation dans ce texte, et nous nous bornerons ici à dire qu’il s’agit d’anomalies du développement qui sont rares et qui n’infirment pas que chez la majorité des espèces animales, dont l’espèce humaine, il existe deux types de gamètes, mâles et femelles, et que le corps d’un humain est constitué en fonction de la production de l’un ou l’autre de ces types de gamètes ; autrement dit, notre espèce se divise objectivement, indépendamment de toute interprétation culturelle ou de toute classification légalement établie, en deux sexes.
Un article de deux biologistes, traduit en français dans le numéro 112 du Québec Sceptique (7) fait valoir que le sexe n’est pas un spectre, il est bien binaire, et on répond à l’argument qui consiste à invoquer les cas d’intersexuation. D’ailleurs, dans l’exposition, on dit que les intersexués représentent 1,7 % des naissances, alors que Coyne et Maroja parlent de 0,018 % (7). La différence entre ces évaluations pourrait bien s’expliquer comme l’explique Richard Dawkins : le pourcentage change selon que l’on considère ou non les syndromes de Turner et de Klinefelter comme des cas d’intersexuation.
Le genre assigné à la naissance
L’assignation d’un genre à la naissance serait un acte social, il s’agirait des attentes collectives que l’on a envers l’enfant selon son sexe.
Comme nous l’avons fait remarquer dans un autre texte (8), si on veut appeler « genre assigné » l’ensemble d’attentes, de normes que l’on inculque aux enfants selon leur sexe, autrement dit les normes de masculinité et de féminité, alors il demeure fallacieux de dire que le « genre » est assigné à la naissance : s’il n’est pas complètement faux de parler d’assignation du « genre » — contrairement au sexe — il faudrait parler d’assignation après la naissance, car c’est durant la socialisation qu’on inculque les normes de féminité et de masculinité aux enfants, et non à leur naissance.
De plus, s’il n’est pas complètement faux de dire que les normes de masculinité et de féminité sont assignées par la société, ce n’est pas entièrement vrai non plus : il faut souligner que ces normes reposent en partie sur des différences biologiques. Le concept de « genre » serait ainsi à rejeter, puisqu’il suppose que la féminité et la masculinité sont des constructions sociales. C’est la raison pour laquelle nous mettons le mot « genre » entre guillemets dans le présent texte : nous n’endossons pas le concept auquel il réfère.
Mais revenons aux propos de Drouin : elle décrète qu’en utilisant les mots fille et garçon, « on ne parle pas de caractéristiques sexuelles, on parle de caractéristiques sociales qu’on appose sur des enfants ». C’est faux, et si ce n’est pas la seule raison de critiquer l’exposition d’un point de vue sceptique, c’est déjà une raison suffisante de le faire. Réinventer le sens des mots nuit à la compréhension et entrave de ce fait l’acquisition de connaissances ainsi que la possibilité de faire preuve d’esprit critique.
Selon Drouin, si on dit à des grands-parents qu’un enfant est une petite fille, ils ne voient pas un enfant avec une vulve, mais un enfant avec les cheveux longs, calme, doux, avec une robe, des paillettes, qui aime danser. Ces propos peuvent être critiqués aussi facilement qu’ils sont émis. D’abord, des grands-parents visualisent fort probablement un bébé avec une vulve si on leur annonce la naissance d’une fille. On peut même supposer qu’ils y accordent concrètement une certaine importance, puisque les grands-parents sont souvent impliqués dans les soins de leurs petits-enfants, par exemple les changements de couche, lors desquels les parties génitales sont non seulement visibles, mais doivent en plus être nettoyées. Ensuite, il y a quelque chose de douteux dans la description exagérément stéréotypée de la perception que des grands-parents auraient des fillettes.
Ce qui est certain, c’est que des grands-parents font la différence entre une petite fille turbulente, avec les cheveux courts et toujours en pantalon, qui n’aime ni les paillettes ni la danse, et un petit garçon. Peut-être que certains grands-parents réagiraient à une petite fille correspondant à cette description en essayant de la rendre « plus féminine », alors que certains autres non, mais dans tous les cas, ils resteraient conscients que c’est une fille.
Dans l’ensemble de l’exposition, on cherche à faire admettre que le « genre » fait partie des références communes pour tout le monde depuis toujours, que tout le monde a toujours utilisé les mots femme, homme, fille et garçon pour référer aux humains selon leur genre, mais c’est faux : ces mots ont toujours servi et servent encore pour la majorité des gens à référer aux humains selon leur sexe.
L’identité de genre et l’expression de genre
Même si la troisième dimension du genre était « l’identité de genre », Drouin passe du genre assigné à l’expression de genre, comme si la notion d’identité de genre se passait de définition.
L’expression de genre est présentée, dans le guide qui accompagne l’exposition (que l’on peut se procurer en format papier au Musée de la civilisation ou consulter en ligne sur le site du musée) (9) comme ce qui exprime l’identité de genre. Or Drouin précise qu’on ne peut pas nécessairement se fier à l’expression de genre de quelqu’un pour deviner son identité de genre, parce que les caractéristiques ne sont pas féminines ou masculines, elles sont seulement humaines... en ce cas, comment peuvent-elles servir à exprimer un genre masculin ou féminin et en quoi s’agit-il de l’expression de l’identité de genre si ça ne permet pas de savoir quelle est l’identité de genre de la personne ? De plus, à d’autres moments de la vidéo (qui ne dure même pas cinq minutes), Drouin affirme au contraire l’existence de caractéristiques masculines et féminines. On nous dit une chose et son contraire.
L’attirance sexuelle et romantique
Quant à l’attirance sexuelle et romantique, il s’agit pour ainsi dire de l’orientation sexuelle, qui n’est pas du tout la même chose que le « genre » et entretenir la confusion entre les deux est trompeur, en plus de poser certains problèmes sur le plan politique, notamment en ce qui concerne les droits des homosexuels et bisexuels : nous en avons nous-mêmes parlé notamment dans un autre numéro du Québec sceptique (10) ainsi que dans un texte paru dans la revue Argument portant sur la LGB Alliance (11).
Le concept d’identité de genre
Sur un écriteau affiché dans l’exposition, l’identité de genre est définie comme ceci : « L’identité de genre désigne le sentiment intime, profond et personnel d’appartenir à un groupe social genré en se basant sur les caractéristiques communes de ce groupe, par exemple les hommes. L’identité de genre d’une personne ne correspond pas nécessairement au sexe et au genre qu’on lui a assignés à la naissance. Par ailleurs, certaines personnes ne s’identifient pas exclusivement au groupe des femmes ou au groupe des hommes : ce sont les personnes non binaires. »
Il est spécifié par ailleurs que les personnes dont « l’identité de genre » correspond à leur sexe (leur « sexe ou genre assigné ») sont cisgenre, ou simplement cis, et les autres sont soit transgenre ou trans (si leur « identité de genre » est femme alors que leur « sexe ou genre assigné » est homme, ou vice versa), soit non binaires (12) (tel que défini dans l’extrait précédemment cité).
Dans la définition de l’écriteau, on suggère que l’identité de genre est un sentiment d’appartenance, suggérant ainsi que les « cis » auraient le sentiment d’appartenir au groupe des femmes ou des hommes selon leur sexe. Or, ne pas avoir un sentiment d’appartenance par rapport aux membres de son sexe, ou avoir un sentiment d’appartenance plus fort avec les membres du sexe opposé qu’avec les membres de son sexe, n’est pas forcément être trans. D’ailleurs personne n’a de sentiment d’appartenance avec l’ensemble des membres de son sexe. Personne n’a un sentiment d’appartenance exclusivement avec les personnes de son sexe non plus (le sexe est binaire, mais les sentiments d’appartenance ne le sont pas).
De plus, on parle de sentiment d’appartenance à un « groupe social genré », ce qui veut dire qu’en parlant des « caractéristiques communes du groupe », on ne parle pas des caractéristiques biologiques des membres de son sexe, mais des normes sociales de féminité ou de masculinité, ou encore des stéréotypes liés aux femmes ou aux hommes (13). Or quelqu’un de sexe masculin pourrait ne pas se reconnaître dans les stéréotypes de masculinité tout en sachant qu’il est un homme et sans vouloir être identifié comme une femme ni comme « non binaire » ; quelqu’un de sexe féminin pourrait ne pas se reconnaître dans les stéréotypes de féminité tout en sachant qu’elle est une femme et sans vouloir être identifiée comme un homme ni comme « non binaire ».
Bref, l’exposition ne permet pas de clarifier ce qui distingue objectivement les personnes trans (14) ou non binaires des autres (ceux qui sont appelés cis ou cisgenre), ce qui représente une lacune importante : on s’attendrait à ce que ce soit l’une des principales connaissances que l’on puisse acquérir en visitant cette exposition.
La réécriture de l’histoire : quand les féministes ont aidé les « femmes cis » avant même qu’elles existent
En plus qu’aucun historien ne fasse partie du comité « scientifique » ayant participé à la conception d’Unique en son genre, on y parle des mouvements féministes d’une manière fallacieuse et anachronique en leur prêtant une perspective qu’ils ne pouvaient pas avoir : on dit que les premières vagues de féminisme ont permis des progrès pour les femmes cis : la notion même de « femme cis » ne réfère à rien de réel, puisque pour être cis, il faudrait avoir eu un sexe et un genre assigné à la naissance — nous avons expliqué plus tôt pourquoi ce n’est le cas pour personne — et il faudrait avoir une identité de genre. Or, nous venons de voir que la notion d’identité de genre est confuse, et avec le peu qu’on arrive à en comprendre, on peut douter que tout le monde en ait une ou considère en avoir une.
Non seulement la notion de « femme cis » s’inscrit dans un cadre idéologique et ne réfère à rien de réel ni d’objectif, mais de plus, il s’agit d’un cadre idéologique qui n’existait pas encore lors des premières vagues de féminisme : les premières féministes ne peuvent pas avoir eu pour finalité d’aider les femmes cis puisque l’idée n’existait pas encore — et tel qu’expliqué précédemment, elles ne peuvent pas non plus l’avoir fait sans le nommer comme ça.
La réécriture de l’histoire, suite : quand on trans-identifie les morts
Par ailleurs, on présente comme trans des personnages historiques pour qui on n’a pas de raison de croire qu’ils l’étaient. Tâchons de définir ce qu’est une personne trans, en dépit de la confusion qu’Unique en son genre fait peser sur la définition de ce concept : on peut considérer que c’est quelqu’un qui s’identifie fortement à l’autre sexe au point de vouloir être de l’autre sexe et être reconnu socialement comme tel ; cette condition est appelée dysphorie de genre (traduction de l’anglais gender dysphoria). C’est aussi quelqu’un qui modifie son apparence et son corps en employant divers moyens, de façon à ressembler le plus possible à une personne de l’autre sexe.
La dysphorie de genre, ce n’est pas simplement vouloir faire des choses socialement attribuées à l’autre sexe, c’est vouloir être de l’autre sexe. Mais la confusion entretenue par les concepteurs de l’exposition entre la non-conformité aux stéréotypes liés aux sexes et le fait d’être trans les amène à présenter comme des « hommes trans » (15) des femmes qui ont bravé les préjugés sexistes de leur époque et qui, dans certains cas, ont été obligées de se faire passer pour des hommes pour arriver à leurs fins.
On peut citer le cas de Margaret Ann Bulkley, la première femme britannique à avoir étudié et pratiqué la médecine, qui a dû se faire passer pour un homme à cette fin et a emprunté le nom de James Barry. Aucune preuve n’est apportée à l’effet que cette femme souffrait de dysphorie de genre, tout porte à croire qu’elle se faisait passer pour un homme pour des raisons pratiques, et non en raison d’un trouble identitaire.
On « trans-identifie » de la même manière plusieurs autres femmes qui ont défié les normes sur les rôles sociaux de sexe de leur époque. On suggère par ailleurs que certains hommes étaient des trans alors qu’ils étaient plus vraisemblablement des travestis ou des drag queens (16).
Comble de l’effronterie, un écriteau de l’exposition dit ceci : « Les personnes trans et non conformes dans leur rôle et leur expression de genre ont toujours existé. Toutefois, retracer leur histoire représente un grand défi, entre les façons de nommer les réalités trans qui changent d’une époque à l’autre et les retranscriptions effectuées par des gens qui ne reconnaissaient pas les personnes trans, l’existence de ces dernières est difficile à retrouver. » Autrement dit, selon les concepteurs de l’exposition, ce ne sont pas eux qui sont biaisés et voient des personnes trans où il n’y en a pas, ce sont tous les autres qui sont biaisés en ne reconnaissant pas comme trans ceux que les concepteurs de l’exposition ont identifiés comme tels ! Cela ne relève pas de l’information, ni historique, ni scientifique, ni sociologique, cela s’inscrit dans une vision subjective du monde que les concepteurs de l’exposition sont libres d’avoir, mais qu’ils ne devraient pas présenter comme de l’information objective.
Utilisation fallacieuse de faits biologiques
En l’absence de biologistes sur le comité « scientifique », il y a pourtant toute une section de l’exposition qui prétend parler de biologie et nous informer sur la complexité en ce qui concerne le sexe chez plusieurs espèces animales.
D’emblée, on pourrait se demander ce que ça vient faire, étant donné que le discours qui nous est présenté insiste par moments sur la différence entre sexe et genre et sur l’absence d’un lien entre les deux — on insiste à l’effet que quelqu’un peut avoir un genre ou un autre de façon indépendante de son sexe — et prétend nous informer sur la diversité de genre : si le genre n’a pas de lien avec le sexe, en quoi des informations sur le sexe sont-elles utiles pour s’informer sur la diversité de genre ?
De plus, les faits biologiques invoqués sont utilisés comme prémisses pour faire accepter des conclusions qu’ils ne soutiennent pas, notamment que la division des collectivités humaines en deux catégories, hommes et femmes, relève d’une construction sociale attribuable aux sociétés colonisatrices occidentales.
Dans cette section de l’exposition, il est question d’animaux hermaphrodites, d’animaux qui changent de sexe, d’espèces dans lesquelles le dimorphisme sexuel est différent de celui que l’on retrouve dans l’espèce humaine, d’autres dans lesquelles les rôles parentaux sont différents de ceux que l’on retrouve chez les humains et chez les autres primates et d’humains intersexués. Tout cela est intéressant, mais, comme l’expliquent Coyne et Maroja (7), ainsi que Dawkins (6), rien de cela ne permet de conclure qu’il est faux que l’espèce humaine se divise, indépendamment de toute interprétation culturelle de la réalité, en deux catégories de sexe, les hommes et les femmes.
Pour bien montrer à quel point les faits biologiques sont interprétés et non simplement présentés, il vaut la peine de rapporter jusqu’où les concepteurs de l’exposition ont poussé le ridicule : un écriteau de l’exposition « explique » que le pénis et la vulve ne sont pas si différents.
« La vulve et le pénis… pas si différents ! Quand l’embryon se développe, il est d’abord indifférencié, cela veut dire que tout le monde commence avec les mêmes organes génitaux, composés d’un gland et d’une fente. Lors du développement fœtal, ces organes vont se différencier. On peut remarquer que ce sont les mêmes éléments qui deviendront : le scrotum et les grandes lèvres ; le gland du clitoris et le gland du pénis ; les petites lèvres et le raphé. »
Pendant qu’on y est, pourquoi ne pas aussi arguer que, puisque l’embryon de grenouille et l’embryon humain sont pratiquement identiques durant un certain stade du développement, la différence entre un humain et une grenouille est socialement construite ? Que les différences entre une vulve et un pénis se développent avec le temps plutôt que d’être présentes dès le stade embryonnaire n’enlève rien au fait que ces différences existent et sont évidentes !
Cette exposition n’est pas informative : même quand elle présente des faits biologiques, elle les interprète d’une manière hautement discutable.
Des cultures qui reconnaissent un troisième genre ?
Sans nous éterniser longuement sur le sujet des soi-disant « autres genres » — ceux qui soi-disant existent en plus d’homme et de femme — reconnus par d’autres cultures alors que nous, Occidentaux, n’aurions pas conscience de leur existence, mentionnons simplement que pour tous les exemples présentés, on revient toujours aux deux mêmes sexes : des garçons/hommes et des filles/femmes. Que des gens puissent être atypiques pour leur sexe et que cela soit socialement accepté dans plusieurs cultures n’a rien de particulièrement étonnant et ce n’est même pas une différence notable avec les cultures occidentales.
Il y est aussi question de certaines croyances métaphysiques de certaines Premières nations, notamment celle que certains individus auraient deux esprits (cela relève clairement de la croyance métaphysique, surtout que cela implique, à la base, le dualisme corps/esprit) : les croyances métaphysiques, que ce soient celles de n’importe qui, ne sont pas basées sur des faits d’ordre historique, sociologique ou scientifique.
Projection sur la culture ambiante de références qui n’existent que pour une minorité
Précédemment, on a vu que l’exposition projette sur le passé un cadre de pensée qui n’existe que depuis peu de temps. Ajoutons que ce cadre n’est que celui d’une minorité d’Occidentaux. Or, on fait le même type de projection avec les sociétés occidentales contemporaines, avec la dénonciation de « l’hétérocisnormativité », présente partout dans l’exposition, et en faisant des interprétations tordues de certaines façons d’agir.
Selon l’exposition, on vit dans un système cishétéronormatif : on prétend que la croyance dominante dans la société est que les organes génitaux externes d’une personne déterminent son identité de genre, son rôle social et ses intérêts.
On prétend que la conception commune est qu’un enfant qui nait avec une vulve va grandir et s’identifier comme une femme et jouer un rôle féminin dans la société. En réalité, les gens considèrent qu’un bébé avec une vulve est une fille, c’est-à-dire un humain prépubère de sexe féminin, et que cette fille va devenir une femme, c’est-à-dire un humain adulte de sexe féminin ; on ne suppose pas qu’elle va s’identifier subjectivement comme une femme, mais que c’est ce qu’elle va devenir ; le mot femme ne réfère pas à une identité subjective que l’on ressent, mais à une réalité objective.
De plus, personne ne prétend que les organes génitaux externes d’une personne déterminent son rôle social et ses intérêts. Il y a certes beaucoup de gens qui considèrent qu’il y a des différences générales entre les sexes et que certains intérêts ou traits de caractère sont plutôt masculins et d’autres plutôt féminins, et aussi beaucoup de gens qui considèrent que certains rôles sociaux reviennent aux hommes et d’autres aux femmes, mais qui prétend qu’il y a un lien causal simplet entre les organes génitaux externes et les intérêts et rôles sociaux ? Les relations causales établies entre le sexe et les intérêts et rôles sociaux impliquent d’autres considérations, notamment liées aux hormones et au rôle dans la reproduction — notamment, mais pas exclusivement, le fait que la gestation et l’allaitement reviennent naturellement aux femmes.
Par ailleurs, peu importe qu’on soit conservateur ou non, au sujet des rôles sociaux que les gens doivent assumer selon leur sexe, on a généralement conscience de la diversité des possibilités de rôles que peut jouer un homme ou une femme et de la diversité de caractères et d’intérêts que les hommes et les femmes peuvent avoir.
Finalement, on a affaire à une autre belle absurdité, qui fait concurrence à celle de prétendre que la vulve et le pénis ne sont pas si différents : on prétend briser le « mythe » selon lequel « il n’y a que les personnes trans qui utilisent les chirurgies pour affirmer leur identité de genre ». On prétend que « les femmes cis constituent le groupe social qui a le plus recours aux chirurgies d’affirmation de genre, dont font partie les augmentations mammaires. » (Souvenons-nous que l’expression « femme cis » est censée désigner, pour ainsi dire, les personnes qui sont des femmes et qui ne prétendent pas être des hommes ni être « non binaires ». Par ailleurs, les « chirurgies d’affirmation de genre » sont en fait les chirurgies utilisées par les personnes trans pour ressembler davantage à une personne de l’autre sexe.)
Prétendre que les femmes ont recours à des augmentations mammaires pour exprimer leur « identité de genre » est pour le moins présomptueux : les femmes ont plus probablement recours aux augmentations mammaires pour correspondre à des standards de beauté ou de sex-appeal.
Encore une fois, cette exposition n’est pas informative : elle alimente une vision du monde subjective, orientée sur le plan sociopolitique, on pourrait même dire qu’elle est idéologique et militante.
Conclusion
D’un point de vue sceptique, la bonne solution aux problèmes relevés dans ce texte n’est certainement pas de faire interdire l’exposition Unique en son genre, mais de la modifier de l’une des façons suivantes : soit on la présente comme ce qu’elle est, c’est-à-dire la présentation d’une conception subjective du monde comportant des orientations sociopolitiques et des croyances métaphysiques ; soit on la modifie pour y inclure des orientations sociopolitiques différentes qui pourraient être comparées avec celles qui sont déjà présentées, de façon à ce qu’elle soit quand même informative : elle informerait alors sur différentes orientations sociopolitiques qui existent dans nos sociétés en ce qui concerne les questions liées aux rôles sociaux de sexe, la question de savoir s’il importe d’identifier les gens selon leur sexe au niveau institutionnel et en société, les normes de féminité et de masculinité et les façons de traiter socialement les personnes qui vivent avec la dysphorie de genre ainsi que celles qui affirment avoir une identité de genre (on devrait notamment inclure les opinions exprimées par le libéralisme classique, le conservatisme et le féminisme radical ou universaliste).
Dans les deux cas, il faudrait que ça s’accompagne de la suppression de toute désinformation : le sexe n’est pas un spectre ni une construction sociale, il n’est pas assigné, Margaret Ann Buckley n’était pas un homme, etc.
Références et notes
Le mot « trans » est à la base une préposition latine qui indique un passage d’un côté à l’autre. Dans le cadre de l’exposition, on parle de personnes « transgenre », et on définit ce mot comme référant à une personne dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe ou au genre assigné à la naissance, une définition non seulement confuse, mais qui suggère qu’on ne parle de rien de réel, puisque ni sexe ni genre n’est assigné à la naissance. Certains parlent de personnes trans-identifiées, pour dire qu’on parle de quelqu’un qui s’identifie à l’autre « côté », c’est-à-dire l’autre sexe. Il y a aussi des désaccords quant à savoir si on peut parler de personnes transsexuelles, pour dire qu’elles sont passées d’un sexe à l’autre. Pour alléger le texte, nous utiliserons simplement le mot trans tout court, et par là, nous référons à une personne qui vit avec une dysphorie de genre persistante et qui a de ce fait modifié son apparence de façon à ressembler à quelqu’un de l’autre sexe.
Dans ce texte, Phillie Drouin est désignée comme une personne, et les adjectifs, pronoms et articles qui réfèrent à cette personne seront accordés au féminin, en accord avec le genre grammatical du mot « personne ». L’auteure ne dit strictement rien sur l’identité personnelle de Phillie Drouin.
À ce sujet, consultez le livre Des mots pour exister de Phillie Drouin. Ce que nous appelons ici l’idéologie queer est une vision du monde selon laquelle, entre autres, les catégories homme et femme, masculin et féminin et hétérosexuel et homosexuel, reposent entièrement sur des constructions sociales, qu’il s’agit de catégories discrètes artificielles imposées à une réalité qui ne correspond pas entièrement à ces catégories discrètes, puisque non seulement on peut se situer à divers endroits sur le spectre du sexe, du « genre » ou de l’orientation sexuelle, mais de plus, certains se situent tout bonnement en dehors de ces spectres. L’idéologie queer présente ces catégories comme de l’oppression, parce qu’elles effaceraient l’existence de ceux qui ne se reconnaissent pas dans les catégories discrètes binaires (soi-disant) imposées socialement. Dans Des mots pour exister, Phillie Drouin prétend proposer des nouveaux mots pour désigner des réalités passées sous silence par les catégories « binaires » traditionnelles, mais en réalité, elle détourne le sens de certains mots et le vocabulaire qu’elle propose empêche beaucoup de gens de parler clairement de certaines de leurs caractéristiques, notamment de leur sexe et de leur orientation sexuelle.
Marie-Philippe Phillie Drouin, sur le site CRC procréation pour autrui et liens familiaux.
Plus loin dans l’exposition, on aborde les problèmes éthiques liés à l’intersexuation : que faire si un enfant nait intersexué ? Ces questions sont d’une grande importance, et les droits des humains intersexués sont une cause valable, seulement, on peut reconnaître cela sans se laisser convaincre que les bébés se font assigner un sexe à la naissance.
Richard Dawkins (26 Juillet 2023). Why biological sex matters, The New Statesman.
Jerry A. Coyne et Luana S. Maroja, La subversion idéologique de la biologie, Le Québec Sceptique, no 112.
Annie-Ève Collin (Août 2022). Réponse à Álvaro Bayón ; Les petits garçons ont un pénis, les petites filles, une vulve, Le Québec sceptique no 108, p 27-32.
Annie-Ève Collin (Avril 2023). Manifestation et censure à McGill ; le divorce entre LGB et T vu comme une trahison des homosexuels envers les personnes trans, Le Québec sceptique no 110, p 4-12.
Annie-Ève Collin (2023). La LGB-Alliance et les trans-activistes : qui veut effacer qui ? Argument.
Le mot binaire est aussi mal utilisé : on utilise ce mot pour qualifier un système qui comprend deux éléments. Ce ne sont pas les éléments qui composent le système qui sont binaires, mais le système lui-même. Ainsi, même en admettant que les concepts d’homme et femme sont les éléments d’un système binaire, un homme ne serait pas « binaire », il ferait partie d’un système binaire. Ajoutons que la notion de personne non binaire est précisément utilisée par des gens qui précisent qu’il n’y a PAS seulement deux éléments dans le « système » (le système étant le sexe ou le genre). S’il y a d’autres éléments dans le système qu’homme et femme, alors même le système n’est pas binaire, plus rien n’est binaire, les éléments homme et femme ne s’inscrivent plus dans un système binaire, et ça n’a aucun sens de parler de binarité vs non binarité.
En dépit de la confusion qui règne un peu partout dans l’exposition, notamment sur le sens des mots, la distinction suivante semble ressortir : le sexe est biologique alors que ce qu’on appelle le genre est culturel.
Si on sort du cadre « théorique » et surtout idéologique de l’exposition, on peut facilement rendre compte de la différence entre une personne trans et une personne qui ne l’est pas : une personne trans serait quelqu’un qui vit avec une dysphorie de genre persistante et qui a modifié son apparence de diverses manières de façon à ressembler davantage à une personne du sexe opposé. Mais dès qu’on se place dans le cadre « théorique » de l’exposition, les distinctions deviennent floues, la confusion s’installe.
Selon le vocabulaire idéologique utilisé par les concepteurs de l’exposition, un homme trans serait quelqu’un qui a été assigné fille à la naissance et dont l’identité de genre est masculine. Dans des termes qui ne s’inscrivent pas dans ce cadre idéologique, on réfère à quelqu’un de sexe féminin aux prises avec la dysphorie de genre, qui veut donc être un homme et modifie son apparence de façon à passer pour un homme.
Les travestis et les drag queens sont des hommes qui portent des vêtements et des accessoires féminins, qui se déguisent en femmes, dans des circonstances différentes et pour des raisons différentes. Contrairement aux personnes dysphoriques qui font une transition, ils ne modifient pas leur corps au moyen d’hormones ou de chirurgies ni ne veulent être socialement reconnus comme des femmes. Cela s’ajoute aux confusions entretenues par l’exposition Unique en son genre sur divers mots et expressions, y compris le mot « trans ».
Annie-Ève Collin milite pour la liberté d'expression et pour la primauté de la démarche scientifique.
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Bellatrix Bells travaille sous pseudonyme sur le thème du genre pour des raisons de sécurité professionnelle.
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